Ca fait plus de 3 semaines que Turg est assise à la table, éclairée par une simple bougie. Elle n’a pas l’air d’écrire, mais simplement réfléchir.
Il était une fois…
Non, non… j’peux pas commencer comme ça…
Il y a fort longtemps…
Mouais, non plus…
*lâche son bout de bois noirci, et quitte la table. Elle revient 1 heure plus tard, ruminant son bout de pâlerette*
C’est dans la plaine jouxtant Sabot-de-sang que naquit Turg, ou plutôt Trèfle Unique récoltée dans la Gadoue… Ma grand-mère m’appela très vite Turg, et ce nom resta comme un chardon collé sur ma fourrure.
Druide. Je n’eue pas le choix. Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs (Hoho…) était druides, plus ou moins développés, plus ou moins réussis… Quand je voulu être une guerrière, vaillante et courageuse, on m’a collé un bâton dans les mains, en me disant : « Non, tu es druide, ton cœur, ton âme appartiennent à la Nature ! Va maintenant ! Aime ton prochain ! »
Pfff… la blague… aimer mon prochain… t’as vu sa tête ? Aimer un gnoll… pas une bonne idée. Ils se sont jetés sur moi comme si j’étais un bon steak… et là, j’ai découvert Réhez.
Réhez, cette étrange fée qui me regardait avec ses yeux transparents, sans rien dire… J’étais entourée de brume, ou de fumée… quelque chose de bizarre. Je n’avais pas mal, mais j’étais… légère ! J’aimais cet état, entre la vie et la mort… C’est à ce moment là que je sentis cette énergie m’appeler. Je regardais Réhez, et instinctivement, je me dirigeais vers cette bande de gnoll qui m’avait fait la peau… C’était le cas de le dire…
Une forme apparue sous mes yeux. Mais c’est moi !! Mon corps ! Ne réfléchissant pas une seule seconde, je me jetais dans mon corps, heureuse de l’avoir retrouvé ! Les gnolls aussi étaient contents… Tiens, rebonjour Réhez…
J’appris plus tard à mes dépends que reprendre son corps s’accompagnait toujours d’une grande faiblesse, et que tes ennemis, eux, n’attendent pas pour s’inquiéter de ta santé. Au contraire.
J’appris aussi, après quelques balades plus ou moins sanglantes qu’un maître t’apprenait les rudiments d’un bon druide, ou « le Druide pour les nuls ». Après lui avoir demandé de me transformer en guerrière pour la 7ème fois, il me ramena auprès de mes parents, me disant que j’étais une bonne à rien.
Toute fière d’avoir tenu bon, je m’attendais à ce qu’ils m’accordent enfin la voie que je m’étais fixée, mais je n’eu que des remontrances et des brimades…
Au même âge, les autres savaient se transformer en gros nounours (mouais… pas folichon), et savaient soigner bien mieux que moi, et même enlever les poisons. Moi j’avais juste appris à taper avec un bout de bois rabougris et soigner un pauvre écureuil blessé. Je passais mes journées à regarder les trotteurs se faire massacrer par des confrères au nom barbare et au langage étrange.
Une jeune druidesse s’était d’ailleurs approchée de moi en me demandant : « slt, tu ve rentre ds ma guild de ouf ? » Euh… j’ai pas tout saisi là… t’es bien une taurène, non ? T’es pas un gnoll déguisé au moins ??
La seule réponse à laquelle j’eu droit fut : « té 1 noob ». Ah… euh… certes. Noube… c’est quoi un noube ? J’entendis par la suite ce mot assez régulièrement sans jamais connaitre la signification. Il m’avait semblait que c’était péjoratif, sans réellement en avoir la confirmation.
Un demi-cycle après mon renvoi, ma mère, Tornade rugissante sous une pluie battante, ou Torupluba, décida de m’emmener cueillir des herbes médicinales pour ses potions. Je n’y trouvais bien sûr aucun intérêt et j’y allais en rechignant.
En passant par le village, un éclaireur nous conta une sombre histoire. Le Roi Liche était de retour. A la décoloration soudaine de ma mère, je compris que ça n’était pas une bonne nouvelle, mais je n’y accordais pas beaucoup d’attention, réfléchissant surtout au meilleur moyen de m’éclipser pour éviter la corvée de cueillette.
Ayant réussi à faire quelques pas en direction de la hutte du dépeceur, je décidais de prendre mes jambes à mon coup, mais c’était sans compter les puissants sorts de ma mère. Prise dans un enchevêtrement de lianes, je dus me résigner à suivre ma génitrice.
Après une longue marche, entrecoupée de « Ah de la pacifique ! », j’aperçus Pitons du Tonnerre. Je découvrais pour la première fois notre capitale. Je dévorais des yeux ces immenses cimes, ces constructions faites de bois et de peaux, ces hippogryphes quittant l’aire de décollage. Je n’écoutais qu’à moitié les paroles de ma mère… « Roi Liche… combat… partir… dangereux… ».
Soudain me prenant par le bras, ma mère me jeta derrière un arbre, m’ordonnant de ne pas bouger. Je ne voyais rien qui puisse être dangereux, et à part les gnolls, franchement, je n’avais peur de rien. J’étais une vaillante guerrière !
Ma mère se plaça derrière moi, en prenant la forme d’un gros chat. Je l’avais déjà vu se transformer une fois, et je trouvais ça ridicule. Autant avoir un petit chat, ca prends moins de place…
Et tout à coup, elle disparut sous mes yeux ! Je ne la voyais plus, je la cherchais frénétiquement du regard, inquiète et complètement perdue. Je sentais sa présence par intermittence. Je voulais crier, hurler ma peur, mais ma condition non révélée de guerrière m’en empêcha. Une guerrière qui hurle de peur, c’est moins crédible. Mais la peur était bien là… Ma mère avait senti quelque chose, et moi, pauvre taurène sans avenir, j’étais inutile…
De longues minutes s’écoulèrent, et enfin ma chère et tendre mère réapparut. Je frissonnais de crainte, ces minutes m’ayant permis, contre mon gré, de réfléchir à un avenir plutôt sombre. En quelques mots, elle m’expliquait que les troupes du Roi Liche se baladaient et qu’il n’était pas prudent de continuer notre cueillette. Nous fîmes un détour pour attendre le grand ascenseur de Pitons du Tonnerre. Nous serions plus en sécurité me dit-elle.
Au loin, j’aperçus un étrange cristal violacé, entouré par des sortes de zombies, et des demi-liches. La lueur que renvoyais le cristal était manifestement malfaisante. J’en avais même mal au cœur.
Arrivés à la grande place du marché, ma mère et moi nous frayâmes un chemin à travers la troupe de taurens amassés au milieu. Je ne voyais pas grand-chose, jusqu’à ce que de grands éclairs déchirent le ciel dans un vacarme assourdissant. Ma mère me colla contre elle, et m’amena auprès du maître d’arme. Quelques mots après, le maitre d’armes me cacha dans sa hutte. Je montais sur une caisse pour comprendre tout ce raffut et tenter d’observer la situation.
Ce que je vis resta à jamais gravé dans ma mémoire. Des zombies se baladaient tranquillement, tandis que de courageux guerriers taurens tombaient sous les coups des demi-liches. Une aura verte émanait de certains d’entres eux, et couraient de manière complètement désordonnés.
Je vis aussi un druide, qui alternativement se transformais en ours, puis en chat, passant d’un zombie à un autre, puis reprenait sa forme originelle pour incanter un quelconque sort. Je compris que ces sorts étaient des sorts de soins et qu’il était tellement puissant qu’il soignait tout le monde, qu’il enlevait les poisons aux taurens visiblement infectés, qu’il combattait comme un lion, c’était le cas de le dire. J’étais subjugué par ce druide si imposant. Il semblait fédérer toute la rage et la combativité des taurens. D’autres se joignirent à lui. Des éclairs, des pluies de feu, de givre balayèrent toute la zone. Quelques instants plus tard, il ne restait rien, pas même un bout de zombie.
Je restais debout, sur ma caisse, émerveillée par ce druide. Je voulais lui ressembler, je voulais être aussi puissante que lui. Pendant que je rêvais, ma mère s’approcha, visiblement fatiguée.
Je peux faire quelque chose pour toi, lui demandais-je. Son regard suffit à me sentir honteuse… honteuse de ne pas avoir suivi la voie qui m’avait été tracée. Mais elle rajouta « Non. Tu ne peux rien faire ». Le chemin du retour fut long… très long…
Nous n’étions qu’a quelques pas de l’ascenseur, quand soudain une armée de zombies accompagnée de quelques demi-liches fondirent sur moi.
Je n’eue que le temps de crier, et de fouetter l’air de mon bout de bois. La peur m’étreignait, mon bâton fendait l’air frénétiquement, sans jamais rencontrer quoi que ce soit. J’entendais des cris stridents qui me vrillaient les tympans, des vrombissements, des coups portés, mais mes yeux refusaient obstinément de s’ouvrir.
Ma volonté était anéantie… j’étais inutile, complètement bonne à rien… Inutile, ce mot résonna dans ma tête, et me donna la force d’ouvrir un œil, tout en continuant de fouetter l’air.
Ma mère, cette ourse, combattait vaillamment les 6 zombies restants, à une dizaine de mètres de moi. Elle avait emmené les ennemis loin de moi pour me protéger, moi, qui ne sers à rien… Je voyais le sang couler sur les flancs de ma mère, qui commençait à vaciller. Elle soufflait, balançant son énorme patte sur les zombies, qui bougeaient bien plus vite qu’elle…
J’essayais tant bien que mal d’incanter le seul sort de soins que je connaissais. Je maudissais cette fatigue qui m’envahissait à chaque sort lancé. Je me retrouvais à genoux, tentant désespérément d’incanter… J’invoquais les esprits de la Nature, du temps, de l’air, de la terre, tout ce qui me passait par la tête. J’hurlais ma rage d’être impuissante, des larmes chaudes coulaient sur ma peau… je voyais très bien l’issue finale de ce combat.
Aveuglée par la rage, je fonçai sur ces zombies, tentant de les repousser. Leurs auras à elles seules me rendaient malade… J’essayais de les frapper, mais c‘est comme si mon bâton était devenu de la guimauve… Je sentais le souffle rauque de ma mère, qui dans un râle m’ordonna de partir.
L’aide inespérée d’un petit homme aux mains remplies de feu fut salvatrice… seulement pour moi. Ma mère subit un coup particulièrement puissant et se retrouva à terre, terrassé par les poisons qui coulaient dans ses veines. Le petit homme s’approcha, regarda ma mère et dis un petit « Désolé » et reparti aussi vite qu’il était arrivé.
Désolé ? Désolé ?? C’est tout ?? Et ma mère ?? J’essayais de la porter, j’essayais de la soigner, de faire quelque chose qui ne soit pas inutile quand j’eu soudain une révélation ! Réhez !!
Maman !! Tu vas voir Réhez, t’inquiète pas, elle est gentille !! Elle me sourit et me dit « Oui, je la connais… mais cette fois, je ne pourrais pas la voir… Le Roi Liche m’emporte. Vas-t-en, vite. Je ne pourrais pas contenir la malédiction longtemps… »
La quoi ? Mais de quoi elle parle ? Je voyais bien une aura émaner de ma mère, quelque chose de malsain. J’essayais de lui enlever, mais mes incantations ne faisaient que de m’épuiser davantage.
Un changement s’opérait chez ma mère… sa peau devenait plus terne, plus laiteuse, ses yeux ressemblaient à deux lunes blafardes, des veines apparaissaient sous sa jolie fourrure… Je ne l’avais jamais vue dans un tel état…
D’une de ses pattes, elle me repoussa gentiment. Je sentais la chaleur émaner de son corps. Cette chaleur que je repoussais moi-même si souvent, me contentant de dire « Oui, oui, moi aussi ». Oh comme j’aimerais revenir en arrière, comme j’aimerais savoir soigner, comme j’aimerais lui dire… NON ! NE PARS PAS !!! Mais déjà ses yeux brillants se fermaient…
Je posais ma tête sur son flanc, pleurant à chaudes larmes…
C’est quand son corps bougea légèrement que je compris qu’un événement était en train de se dérouler devant mes yeux.
Je me tenais prête à prendre mes jambes à mon coup quand son corps disparut sous mes yeux et des zombies apparurent à sa place.
*Turg repose son crayon noirci, visiblement émue. Elle se lève et quitte la pièce.* La suite plus tard... c'est l'heure de ma pâlerette.